lundi 31 mars 2014

"Mon oncle d'Amérique" : les thèses anthropologiques du Professeur Laborit dans un film d'Alain Resnais

En hommage à Alain Resnais, l'un des plus grands réalisateurs français, récemment disparu, Arte diffusait le 5 mars dernier l'un de ses films de référence, "Mon oncle d'Amérique". Caractéristique de l'esprit créatif du cinéaste, ce long métrage se situe à la frontière entre la fiction et le documentaire. Il débute par une présentation des personnages entrecoupée d'interventions du Professeur Henri Laborit portant sur les comportements des individus face à différentes situations, et comment ces attitudes sont dictées par les différents "cerveaux" de l'être humain. Le scientifique réapparaitra plusieurs fois au cours du film afin d'apporter son analyse sur les relations entre les différents protagonistes de la fiction, en illustrant ses propos par des expériences réalisées sur un rat enfermé dans une cage dont le plancher est soumis à des excitations électriques.
L'environnement professionnel et plus précisément le statut social des 3 principaux protagonistes serviront de support à Alain Resnais pour mettre en évidence les thèses anthropologiques du Professeur Laborit.
Roger Pierre interprète avec brio un haut fonctionnaire issu de la bourgeoisie et promis à une belle carrière, qui quittera femme et enfants pour une comédienne, Janine (Nicole Garcia), élevée dans le giron de sa modeste famille d'ouvriers, militants communistes. Il pensera trouver en elle la muse qui lui permettra d'écrire, mais retournera avec son épouse après que cette dernière ait manipulé la jeune actrice qui finira au sein du service Ressources Humaines d'un groupe textile. A cette occasion, elle croisera la route de René Ragueneau (Gérard Depardieu), catholique, originaire du milieu paysan que son frère et lui souhaitent ardemment quitter. Il deviendra directeur d'usine, mais peinera à supporter la pression, et sera sauvé du suicide grâce à l'intervention de Janine.
La chaine franco-allemande propose sur son site une excellente synthèse de ce film, dans laquelle figure cette citation du Professeur Laborit, qui pourrait résumer la réaction des salariés face à des situations professionnelles stressantes bien souvent induites par des comportement de domination : "Face à ce qui menace son existence, l'homme, lorsqu'il ne peut ni lutter ni fuir, répond par une attitude d'inhibition, explique Henri Laborit. Comme l'animal. Il développe un ulcère ou se suicide".

Et le neurobiologiste de conclure dans le film de Resnais : « Tant qu'on n'aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l'utilisent et tant que l'on n'aura pas dit que jusqu'ici cela a toujours été pour dominer l'autre, il y a peu de chance qu'il y ait quoi que ce soit qui change. »

dimanche 9 mars 2014

Harcèlement en entreprise dans la série "Boulevard du Palais" (France 2)

Boulevard du Palais est une série policière française diffusée depuis 1999. Elle met en scène des personnages récurrents, aux personnalités bien trempées, qui gravitent autour de la "petite juge" Nadia Lintz interprétée depuis l'origine par Anne Richard.
 Jean François Balmer, dans le rôle du Commandant de police judiciaire Rovère, devenu alcoolique suite à des accidents de la vie, est l'autre personnage principal. Il  est assisté de l'inspecteur Di Meglio (Philippe Ambrosini ) et d'un médecin légiste poète et philosophe à ses heures, Hannibal Pluvinage, dont les habits sont endossés par l'excellent Olivier Saladin. C'est lui qui au détour d'un échange donnera l'explication de l'intitulé du titre de cet épisode, "trepalium" qui désignait un engin de torture et dont le mot "travail" tire son étymologie. Car c'est dans le monde de l'entreprise que se déroule l'action de ce nouvel opus, avec pour point de départ, le suicide d'un cadre de TSA, Patrick Bello, qui adopte une manière originale, puisqu'il précipite l'automobile dans laquelle il a pris place contre un obstacle dans un atelier de bancs de tests de sécurité situé au sous sol de l'entreprise.
L'intrigue prendra un tour inattendu, puisque l'on découvrira finalement après un second suicide requalifié en homicide, que la dirigeante était en train de vendre l'entreprise qui compte 124 salariés à des concurrents allemands. C'est pour cette raison que, avec la complicité de son DRH, Chauvel, elle a "spolié" Bello d'un logiciel qu'il avait développé qui aurait pu entraver la cession. Le cadre, ne comprenant pas ce qui lui arrive glissera dans une spirale dépressive, bien entretenue par Chauvel qui ira jusqu'à le harceler, lui reprochant son poids, son âge  et même son hygiène en allant jusqu'à lui offrir du déodorant. Cette facette du harcèlement en entreprise semble la moins réaliste car la pression conduisant à une extrémité fatale est généralement plus sournoise. Elle est cependant assez bien décrite dans la première partie de l'épisode, notamment au travers des témoignages des différents personnages.
Son épouse d'abord, effondrée à l'annonce de la terrible nouvelle, qui se rendait compte que "son boulot le vidait de l'intérieur, on lui en demandait trop ou on ne lui demandait rien" ou son fils qui ajoute "il ne parlait pas de son boulot". Le discours du DRH est bien entendu teinté de mensonge, mettant le geste fatal du cadre sur le compte "d'une passe difficile, d'une inaptitude provisoire", mais l'entreprise ne lui en tiendra pas rigueur alors que "d'autres ne se seraient pas gênés pour le virer". Les dirigeants de l'entreprise évoquent aussi  "des difficultés dans le couple" ainsi que "des rumeurs de relation avec une fille", une des anciennes salariées, elle aussi victime de pressions, et qui avait été licenciée "pour abandon de poste", mais après qu'un mél d'insultes ait été adressé à sa patronne depuis son poste informatique. C'était en fait le résultat d'une première manipulation du DRH.
La position du médecin du travail est plus ambiguë. Il est d'abord difficile de comprendre où elle se situe physiquement, tant elle semble impliquée dans l'entreprise. Les permanences régulières qu'elle assure au sein de  l'établissement et qui génèrent cette impression sont très éloignées de la réalité. Elle expliquera "les troubles du sommeil" de Patrick Bello par la pression infligée par "la nouvelle stratégie de l'entreprise", et déplorera le manque de communication qui se traduira entre autres par le "remplacement de la machine à café par des cafetières individuelles disséminées dans les bureaux". A l'issue du premier décès elle sera bien sûr partie prenante de la cellule psychologique constituée avec Chauvel, un DRH décidément machiavélique qui introduira un logiciel mouchard dans le poste informatique de la thérapeute et qui fera aussi chanter sa patronne.
Les héros de la série de France Télévision ont sur ce petit monde un regard distancié mais peu critique, restant dans leur rôle. La" petite juge" rappellera la difficulté de "prouver le harcèlement" dans ce genre d'affaires, alors que Pluvinage confirmera les troubles du sommeil de Bello, qui "carburait aux calmants et somnifères". Le commandant Rovère se limitera à observer que le DRH "n'est pas submergé par les rendez-vous" mais la fille adoptive du policier montrera toute l'incompréhension dont souffrent les victimes de harcèlement car elle ne comprend pas que l'on puisse "se foutre en l'air parce qu'on est pas capable de dire non à un chefaillon".
C'est l'inspecteur Di Meglio qui sera le plus mordant, fidèle à son habitude, se lâchant d'un commentaire peu amène à l'attention du médecin du travail : "votre paie vient des cotisations patronales". La réalité n'est pas aussi simple, même si la médecine du travail est plutôt au service des employeurs, ce que les salariés ont du mal à comprendre. Ceux-ci se lamentent souvent du peu de profondeur des diagnostics des médecins du travail, mais ils ne doivent pas oublier que la mission de ces derniers lors des visites médicales n'est pas de contrôler la santé du personnel, mais de vérifier son aptitude. Dans le cas contraire, c'est le licenciement qui guette ...
En résumé, cet épisode reste assez réaliste,  seules quelques concessions imposées par le scénario nous éloignent des conditions réelles de l'entreprise, à l'exemple du comportement du DRH. Il rappelle sous certains aspects un épisode le la série "La crim" traité dans cet article de notre  blog ou "Seule", cet excellent téléfilm qui fait l'objet de l'article le plus lu de ce blog.