mardi 26 mai 2015

Des salariés transforment leur entreprise en SCOP dans la pièce de théâtre "Mécanique instable"

L’entreprise sert régulièrement de cadre à des œuvres de théâtre (voir sur ce blog ). Dans cette pièce de Yann Reuzeau, elle y occupe un rôle central, faisant même l’objet d’une transformation au cours de son déroulement. Afin de nous immerger rapidement au cœur de cette PME, les acteurs déambulent sur scène avant même le lever de rideau. Ce sont les collaborateurs des services commerciaux et administratifs de cette société qui intègre également une partie "production" qui sera figurée par l’apparition régulière de la chef d’atelier, vêtue d’une blouse bleue, qui fait aussi office de « syndicaliste de service ». Ses collègues, fidèles aux codes de l’entreprise de la fin du 20ème siècle se serrent la main pour se saluer et portent sous le bras des chemises cartonnées. Ils tiennent entre les doigts un gobelet de plastique provenant de la machine à café certainement placée dans un des couloirs menant aux bureaux, qui, par choix du metteur en scène, sont figurés par des plateformes carrées encadrées en leurs angles par des piquets de fer, faisant penser à de petits rings de boxe dont on aurait ôté les cordes. L’activité de l’entreprise dont nous allons suivre l’évolution sur une vingtaine d’années n’est pas clairement définie, la seule information qui nous est donnée est le nom du produit phare, le « MacGuffin», référence faite au maître Hitchcock.
Un événement lance l’action : contre toute attente, le jeune dirigeant annonce qu’il va céder sa société à l’un de ses concurrents. Les salariés en profitent pour la racheter et la transformer en SCOP (Société coopérative et participative), une forme juridique dans laquelle ce sont les salariés qui en sont les associés, donc les propriétaires. Elle reprendra son organisation originale à la fin de la pièce après avoir rencontré un franc succès, traversé la crise, mais aussi, essuyé un incendie. L’intérêt de « Mécanique instable » est de montrer la réaction des différents personnages devant des  situations et leur évolution en fonction des événements. La peur d’un avenir incertain, l’inquiétude, la déception, ou l’indignation face à ce qu’ils considèrent comme une trahison pour certains qui sont devenus les amis de leur patron. Puis l’intérêt et la curiosité, la motivation quand une des salariées propose de reprendre l’entreprise sous forme d’une SCOP. Puis la lâcheté voire la cruauté  quand il s’agit de licencier un « collègue-associé ». L’ambition et l’opportunisme dont ne manquera pas de démontrer une intérimaire de la comptabilité qui arrivera jusqu'au sommet de la hiérarchie.
Dans le registre des conditions de travail, la plupart des situations rencontrées dans le monde de l'entreprise sont évoquées : la maladie, les pathologies plus graves et les arrêts de longue durée, le stress voire le burn-out, les difficultés à concilier vie de famille et travail, l’opposition entre « les ateliers et les bureaux », la discrimination, l’atteinte du seuil d’incompétences et la quête du sens dans le travail exprimé par des commentaires comme « travailler c’est juste un moyen mais on y passe les ¾ de sa vie ».
Si des éléments stratégiques sont également abordés, comme la nécessité « d’augmenter la production pour permettre l’exportation », il est aussi question d’obsolescence programmée, c’est sur l’approche du statut de SCOP que cette pièce est la plus remarquable. Particulièrement bien documentée, elle en intègre toutes les dimensions. Sur l’aspect structurel, en expliquant que les « salariés-actionnaires » sont propriétaires de leur outil de travail, qu’ils prennent part aux décisions de l’entreprise et se partagent les bénéfices de l’activité ou décident de les réinvestir pour en favoriser le développement. Sur le plan humain, les interrogations ou les commentaires des salariés semblent plausibles ; « on paie pour travailler ? » se demande un cadre quand on lui propose d’acheter des parts de l’entreprise, pendant que les ouvriers hallucinent car « ils seront les patrons des cadres » ou qu’ils jubilent en s’apercevant qu’ils cumulent salaire et dividendes dans la période la plus faste de leur société : « on a gagné au loto ! ».
Ils seront confrontés à des décisions qu’ils n’avaient pas envisagées, comme de choisir un gérant pour leur structure ou de devoir licencier le commercial, un de leurs collègues-associés, provoquant une lutte des clase au sein de la SCOP . Cette aventure sera aussi l’occasion de révéler les personnalités et les valeurs cachées, plus ou moins nobles des différents personnages. Une secrétaire, par exemple, se lancera avec passion dans le projet et finira par rejoindre l’URSCOP, l’Union Régionale des SCOP . Le fait de citer cet organisme montre une fois encore la qualité de la recherche documentaire réalisée pour l’écriture de cette pièce.

Mécanique instable - Une pièce écrite et mise en scène par Yann Reuzeau avec Emmanuel de Sablet, Sandrine Molaro, Morgan Perez, Sacha Petronijevic, Leïla Séri, Sophie Vonlanthen -  Manufacture des Abbesses -  Scénographie : Philippe Le Gall - Lumière : François Leneveu.

Pour aller plus loin :

lundi 25 mai 2015

Une unité de sablage dans "Le jour se lève", le chef d'oeuvre de de Marcel Carné (1939)

"Le jour se lève", le film de Marcel Carné,  est avant tout un drame. C'est aussi une réflexion sur le sort des ouvriers, avec peut-être un parallèle avec la vie d'artiste ou de bohème personnifiée par Valentin (Jules Berry) le dresseur de chiens que tout oppose à François le sableur (Jean Gabin).
François est ouvrier dans un , il est affecté à une unité de sablage, endossant chaque jour sa combinaison qui ressemble à un scaphandre et manipulant une lance projetant du sable et de l'abrasif dans le but de décaper de grosses pièces usinées.

L'atmosphère est hostile, au point de flétrir en quelques minutes le bouquet que tient Françoise, la fleuriste (Jacqueline Laurent) en visite dans les ateliers. Ce sera leur première rencontre et l'unique plan tourné au sein de l’usine. Pour atténuer les effets de la poussière produite par la projection de sable, François boit régulièrement du lait dont il propose un verre à la jeune femme, tandis qu’un de ses collègues préfère le vin, sans pour autant que Carné ne fasse allusion aux problèmes d’alcoolisme du monde ouvrier.
L'entreprise représenterait même ici la vertu, car à la blancheur du lait il faut ajouter la propreté du prolétaire qui se lève chaque matin et, qui déclare avec certes une pointe d'ironie "le travail c'est la santé et la liberté". "Y'a une bonne petite place à prendre" lancera-t-il avec un peu plus de sarcasme aux badauds , alors qu'il est sur le point d'être arrêté par les policiers. 
A l'opposé, Valentin représente le vice, le mensonge et la manipulation, pour lui le travail de François est "malsain", et pas seulement au sens propre du terme. L'ouvrier de son côté considère que les bonimenteurs de son espèce sont comme "le sable en dedans" qui peu à peu dévore les poumons du sableur, au point que ses collègues doutent que les gaz lacrymogènes utilisés par les forces de l'ordre pour le déloger de sa chambre où il s'est retranché puissent avoir de l'effet.
Et c'est la sonnerie du réveil-matin de l'ouvrier qui ponctue le chef d'oeuvre de Carné juste après que François  se soit donné la mort.
Si l'entreprise ne fait l'objet que d'un seul plan, il est à noter le niveau de modernité des équipements et des postures de ce poste de sablage pour un film qui remonte à 1939.


samedi 16 mai 2015

Les mineurs à Lens au début du 20ème siècle dans "Le fil du rasoir" un film de 1946 de Edmund Goulding

Nous sommes très loin des conditions de travail dans ce remarquable film de 1946 de Edmund  Goulding, « Le fil du rasoir » qui se déroule en grande partie dans les salons de la haute société américaine et britannique entre les 2 guerres mondiales. Cependant, au cours de son périple qui le mènera  de Chicago jusqu’aux  rives de la méditerranée, Larry, le personnage principal, à la quête de lui-même et interprété par TyronePower, occupera un emploi de mineur au sein des « Mines de Lens », avant de partir pour l’Inde sur les conseils d’un prêtre polonais défroqué rencontré à cette occasion. Larry se retirera ensuite sur l’un des plus hauts sommets de ce pays où il retrouvera la paix intérieure, puis retournera en Europe où il fera bénéficier ses proches de cette sérénité retrouvée et rencontrera l’amour sous les traits de Sophie, Anne Baxter, excellente, qui finira tragiquement à l’issue de péripéties absolument captivantes.
Le passage de Larry dans le Nord de la France est assez surprenant, du moins sur l’aspect des conditions de travail. Que la mine soit uniquement matérialisée par des wagonnets poussés sur des rails placés … au plein milieu d’une rue de la ville peut se comprendre pour des raisons de licence cinématographique et de facilité de mise en scène de l’œuvre de Somerset Maugham. En revanche, il est difficile d’expliquer pourquoi, curieusement, les mineurs sont tous vêtus d’une tenue similaire et d’une élégance rare ! Une vision très éloignée de celle de Zola ...

Toujours au titre des conditions de travail, nous verrons aussi Larry en matelot à l’œuvre sur le pont d’un navire marchand qui fait route pour Amérique, mais de manière furtive puisque ce sera la scène de fin sur laquelle défilera le générique.
La critique de Télérama du 27/12/2014 : Le fil du rasoir.

Un des scènes se déroulant à Lens :